CONTESTATION DU COUVRE-FEU - DPCP C. STÉPHANIE PÉPIN (FR)
RÉSUMÉ COMPLET DE LA CONTESTATION CONSTITUTIONNELLE DU COUVRE-FEU, AMOS, QUÉBEC
Par : Richard G.
**Please see separate publication for the English version.**
MISE EN CONTEXTE:
Le 9 janvier 2021, à Amos, Québec, Stéphanie Pépin et un groupe de manifestants ont organisé un petit convoi de protestation pour exprimer leur désaccord avec la décision du gouvernement caquiste d'imposer un couvre-feu à travers la province dans le but de contrôler la propagation de la COVID-19. Peu après 20 heures, les agents de la Sûreté du Québec ont intercepté les manifestants et leur ont imposé des amendes pour avoir enfreint les règles de la santé publique. Chaque personne du groupe a reçu une amende de 1 550 $ pour non-respect du décret portant sur le couvre-feu prévu par la Loi sur la santé publique (ci-après appelée LSP).
Dans les semaines suivantes, le groupe de manifestants a fait part à la Cour du Québec de son intention de contester la mesure pour des motifs constitutionnels. Ils ont soumis un avis de question constitutionnelle (Avis 76, C.P.C.) et ont attendu la date du procès. Sans entrer dans les détails, les procureurs du gouvernement ont ensuite déposé une requête pour rejeter l'avis de question constitutionnelle et ont exhorté le procès à se poursuivre sur la base des mérites factuels de la violation alléguée. Par conséquent, Pépin (via cet auteur) a sollicité l'assistance du Centre juridique des libertés constitutionnelles (CJLC – ou JCCF en anglais) et de l'avocat Samuel Bachand pour la représenter ainsi que, de manière informelle, les autres accusés. Me Bachand a contesté avec succès la requête de l'accusation visant à rejeter l'avis de question constitutionnelle en soumettant une version révisée avec les clarifications nécessaires.
Avec le rejet par la Cour de la requête en rejet de l'avis de question constitutionnelle, toutes les parties et la Cour se sont entendues sur un calendrier de procédure, menant à une série de procès de quatre jours qui se dérouleront à Amos. Ce procès a débuté le lundi 18 septembre 2023. Dans les semaines précédant le procès prévu, l'avocat représentant l'accusé, Samuel Bachand, a transmis le dossier à son collègue, Olivier Séguin. Les deux avocats représenteraient finalement Pépin tout au long de la procédure.
PROCÈS
Le procès de quatre jours a débuté le lundi 18 septembre et s'est terminé le jeudi 21 septembre 2023 devant l'honorable juge Marie-France Beaulieu. Les deux premiers jours ont été consacrés aux témoignages d'experts et de témoins participatifs. La troisième journée a été utilisée par les deux parties pour préparer et échanger des modifications à leur plan d'argumentation et à leur requête à la lumière des faits et des preuves révélés lors des témoignages. La dernière journée a été consacrée aux plaidoiries des deux parties.
Ce qui suit présente un résumé chronologique des procédures dont a été témoin en personne Richard G au Palais de justice d’Amos, Chambre criminelle et pénale, devant l’honorable juge Marie-France Beaulieu. Dans un souci de transparence totale, il convient de noter que cet auteur est et demeure le conjoint de la défenderesse Stéphanie Pépin et a joué un rôle central pour obtenir les services pro bono de la CJLC pour contester l’imposition de la mesure de couvre-feu au Québec. Certains commentaires personnels ont été ajoutés, clairement identifiés et intercalés dans la synthèse. Ces commentaires servent à fournir un contexte et des idées qui peuvent ou non avoir été discutés pendant les pauses des débats, mais qui ont néanmoins été notés par cet auteur comme étant pertinents pour les témoignages et le débat ultérieur.
Cet auteur implore tous les avocats et le public de prendre note des preuves révélées et des arguments avancés tout au long de cette procédure car ils auront selon toute vraisemblance un impact sur les procédures futures. De l’avis de cet auteur, plusieurs révélations d’importance ont été enregistrées, ainsi que des aveux importants de la part de témoins clés du gouvernement.
RÉCAPITULATIF DU PROCÈS :
Jour 1 – lundi 18 septembre 2023
Au début de la première journée, les déclarations liminaires des procureurs du gouvernement, Marie-France Lebel et François Lamalice, visent à réinvoquer leurs arguments de leur précédente requête en rejet de l'Avis de question constitutionnelle. La juge Beaulieu fait fi de cette tentative de ressasser une requête déjà rejetée et ordonne aux parties de procéder.
La juge Beaulieu fixe certaines règles de procédure, dont l'obligation pour les parties de débattre des faits et circonstances de l'affaire uniquement tels qu'ils étaient connus au moment où la défenderesse était accusée d'avoir violé l'ordonnance de santé publique. Le bénéfice du recul ne serait pas admissible et la Cour devrait statuer sur la seule base des faits et des connaissances pertinents à la période en question.
Les procureurs du gouvernement soutiennent que le débat devrait respecter le cadre de l'avis de question constitutionnelle et ne pas dépasser sa portée. La juge n’est pas d’accord avec l’argument des procureurs car les témoignages pourraient potentiellement modifier certains arguments de la défense.
Les procédures préliminaires étant terminées, la juge Beaulieu ordonne la suspension des accusations pénales/criminelles en attendant le verdict final dans la contestation constitutionnelle.
PREMIER TÉMOIN APPELÉ – DR. HORACIO ARRUDA, ANCIEN DIRECTEUR DE LA SANTÉ PUBLIQUE, QUÉBEC
Dans la première partie de son témoignage, le Dr Horacio Arruda exprime que le but premier de l'invocation d'un couvre-feu à l'échelle de la province est « d'envoyer un message clair à la population ». Il poursuit en suggérant que de telles mesures punitives et coercitives servent d'exemple à la population et démontrent la gravité de la situation.
Le Dr Arruda fait ensuite référence à une étude française publiée avant l'invocation de la mesure qui conclurait prétendument par l'observation qu'un couvre-feu est une mesure enracinée dans les sciences sociales et comportementales. Cela fonctionne par « effet de résonance ».
Le Dr Arruda exprime ensuite qu’un couvre-feu aurait un impact important sur la réduction des contacts sociaux et, par conséquent, de la transmission de la COVID-19.
Le Dr Arruda explique que le message envoyé par l'invocation du couvre-feu a des effets indirects sur la population, comme renforcer le sentiment d'urgence et pousser les gens à adhérer plus sérieusement à toutes les autres mesures de santé publique.
Les procureurs du gouvernement introduisent un passage d'une conférence de presse du 16 mars 2020 dans lequel le Dr Arruda qualifie le couvre-feu de mesure de guerre ou de mesure de contrôle et de maintien de l'ordre social. Lors de la conférence de presse, le Dr Arruda fait part de ses doutes quant à l'utilité de la mesure dans un contexte d'urgence de santé publique. Il ajoute que les responsables de la santé publique ne considèrent généralement pas les couvre-feux comme une mesure viable pour atteindre leurs objectifs.
L’AVOCAT DE LA DÉFENSE INTERROGE LE TÉMOIN DR ARRUDA
La question de savoir si le couvre-feu est une mesure de contrôle social est une fois de plus posée, à laquelle le Dr Arruda répond qu'il s'agit d'une mesure de dernier recours en fonction de la gravité de la menace pour la santé publique. Il poursuit en insistant sur le fait que la province était aux prises avec une pandémie mortelle qui pourrait justifier un certain nombre de mesures d’atténuation et de suppression, mais que la population était, à ce stade, aux prises avec une « fatigue » pandémique. Alors que la population adhère de moins en moins aux mesures de santé publique, le gouvernement doit envoyer un message clair.
Les avocats de la défense présentent leur prochain élément de preuve : un courriel du 30 décembre 2021, obtenu par demande d’accès à l’information, envoyé par le Dr Éric Litvak au nom du Dr Arruda au ministre de la Santé intitulé Argumentaire pour le couvre-feu. La présentation de cet élément de preuve est contestée par les procureurs du gouvernement qui s'interrogent sur sa pertinence. Les avocats de l’accusée répondent qu'elle a été introduite afin de bien caractériser la nature de la mesure de couvre-feu et si sa justification dépend de la science dure ou des sciences sociales.
Le Dr Arruda présente ensuite une étude sur laquelle se serait appuyée la santé publique du Québec pour justifier le couvre-feu. Selon le Dr Arruda, l'étude publiée dans Nature qui classe l'efficacité des mesures gouvernementales contre le COVID-19 conclut que la réduction des petits rassemblements a un impact significatif sur le R0 (réduction de la transmission) avec un score de 83 en efficacité comparative.
(Commentaire de l'auteur : dans un aveu antérieur, Horacio Arruda a suggéré que les petits rassemblements ne seraient pas réduits par un couvre-feu, car davantage de rassemblements auraient plutôt lieu dans des concentrations plus importantes pendant la journée. Cet aveu semble contredire la théorie selon laquelle un couvre-feu réduirait globalement les contacts.)
Le Dr Arruda discute ensuite du « modèle du fromage suisse » de réponses à la pandémie.
En faisant des gestes de plus en plus prononcés, le Dr Arruda poursuit en expliquant l'importance d'une approche à plusieurs paliers dans la gestion de la pandémie.
FIN DU TÉMOIGNAGE
À la lumière du témoignage fourni par le Dr Horacio Arruda, les avocats de la défenderesse Stéphanie Pépin proposent de modifier leur argumentation et d'exclure certains témoins et témoignages d'experts des procédures. Le rapport d'expertise fourni par le Dr Patrick Provost et déposé par la défense est retiré du dossier. Le témoignage attendu du Dr Éric Litvak est également abandonné.
TÉMOIGNAGE DE POLICIERS – SÛRETÉ DU QUÉBEC
Agent Benjamin Proulx :
L'agent Proulx est appelé à témoigner des faits et circonstances de leurs interactions avec les accusés le 9 janvier 2021. Il est révélé que l'agent Proulx n'était au courant d'aucune exception à l'ordre de couvre-feu tel que précisé par le décret de santé publique.
Agent Tommy Vigneault (Officier supérieur de l'Agent Proulx)
Sous les ordres de son officier supérieur, le capitaine François Côté, l'agent Tommy Vigneault a reçu pour instruction d'intercepter la manifestation pacifique du 9 janvier 2021, après que leur équipe de surveillance ait découvert des publications publiquement partagées sur les réseaux sociaux à ce sujet. Il est alors révélé que les agents n'ont pas tenu compte des droits garantis par la Charte dans l'exercice de leurs actions cette nuit-là.
TÉMOIGNAGE DE STÉPHANIE PÉPIN
La défenderesse Stéphanie Pépin est appelée à témoigner par son avocat, Samuel Bachand. Lors de son témoignage, Pépin explique comment le couvre-feu a impacté négativement sur sa liberté de voyager et de s'associer. En limitant sa capacité à voyager après 20 heures, elle ne pouvait pas gérer facilement sa relation personnelle car la distance entre elle et son partenaire leur rendait la tâche de se voir difficile. L’imposition d’un couvre-feu l’a amenée à se sentir piégée comme un animal dans une cage et a eu un impact sur sa santé mentale et son bien-être psychologique. Elle explique à la Cour qu'elle ne pouvait plus sortir avec ses deux enfants après 20 heures pour marcher ou faire un tour en voiture, et que ces deux activités les aidaient généralement à mieux dormir la nuit. Elle déclare que l’ordre de couvre-feu lui a causé un stress et une anxiété excessifs. Nonobstant l’article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés, la défense établit que les droits du défendeur garantis par la Charte ont été violés par l’imposition d’un couvre-feu.
JOUR 2 – mardi 19 mars 2023
TÉMOIGNAGE DU DR. RICHARD MASSÉ
(Note de l’auteur : le Dr Richard Massé n’est pas assermenté avant de commencer son témoignage.)
Le témoignage commence par l’interrogatoire du témoin par le procureur du gouvernement, le Dr Richard Massé. Il est présenté comme témoin des faits et témoin participant dans le cadre de son travail, et non comme témoin expert en soi. Les procureurs du gouvernement rappellent au témoin qu'il doit fournir un témoignage basé sur les faits et les connaissances qu'il possédait au moment des accusations. Il doit également limiter son témoignage et ses opinions au cadre de ses fonctions professionnelles à ce moment-là.
Le témoignage commence par une revue sommaire du curriculum vitae académique et professionnel du Dr Massé.
Le Dr Massé a obtenu son diplôme de médecine de l'Université de Sherbrooke en 1970. Il a étudié et travaillé en médecine interne en Afrique dans les années 1970. Il devient ensuite spécialiste en santé publique puis obtient une maîtrise en épidémiologie, spécialisé en maladies sexuellement transmissibles. Il a poursuivi ses études universitaires en médecine communautaire, en mettant l'accent sur les interventions en situation d'urgence. Sa carrière universitaire s'est terminée par une forte concentration sur la médecine communautaire, la santé publique et l'épidémiologie.
L’expérience professionnelle du Dr Massé en maladies infectieuses débute en Afrique en 1977. Il travaille ensuite comme médecin omnipraticien dans un CLSC du Lac-Etchemin. Suite à cette période, il a travaillé en santé communautaire à Montréal, a été nommé Directeur des soins de santé communautaire et s'est concentré sur les maladies infectieuses dans le contexte de la santé publique.
Depuis 1998, le Dr Massé a occupé le même poste que le Dr Horacio Arruda occupe actuellement à titre de sous-ministre de la Santé publique. Son mandat à l'époque était d'élaborer le cadre moderne de la Loi sur la santé publique au Québec.
Parmi ses responsabilités dans l'élaboration de ce nouveau cadre de santé publique, le Dr Massé a coordonné, par l'intermédiaire de comités, la collaboration de diverses institutions et entreprises. Il a développé le cadre pour des capacités de surveillance plus larges en matière de santé publique.
Le Dr Massé déclare qu'avant le 13 mars 2020, l'article 123, alinéa 8, de la Loi sur la santé publique n'a jamais été utilisé par un gouvernement en exercice. Cependant, le Dr. Massé déclare qu’ « on savait que ça allait arriver ». Basé sur l’étude de nouveaux pathogènes émergents, ses travaux se sont concentrés sur le développement des outils et des lois nécessaires pour doter la santé publique de la capacité d’intervenir en cas d’urgence.
Président et directeur général de l’INSPQ – 2003
Avec le lancement de l’INSPQ en 1998, le rôle du Dr Massé en 2003 fut d’en développer l’encadrement au sein de l’administration de la santé publique. Les procureurs du gouvernement demandent si le ministre de la Santé et des Services sociaux (MSSS) est dépendant de l'INSPQ. Le Dr Massé répond que l'INSPQ obtient ses ordres directement du MSSS, incluant son allocation budgétaire, son conseil d'administration et son mandat.
L'INSPQ n'est pas un organisme indépendant en termes de soutien financier. Le Dr Massé déclare toutefois être indépendant quant à ses recherches scientifiques. En tant qu'établissement public de santé, ils sont tenus de publier leurs conclusions après en avoir informé le MSSS. Le Dr Massé affirme qu'il n'y a aucune ingérence du gouvernement dans les études menées à l'INSPQ, les résultats de leurs conclusions ou leurs recommandations subséquentes.
Le Dr Massé poursuit son témoignage en commentant son implication au sein d'un Conseil d'experts canadiens qui a publié un rapport en 2019 dans le cadre d'un sommet international sur la santé publique. En 2020, il adopte le rôle de conseiller médical stratégique en remplacement du Dr Arruda au MSSS. Faisant partie d'un comité exécutif, il élabore des stratégies centrées sur la sécurité civile, en tenant des réunions régulières.
En décembre 2020, une table ronde nationale est convoquée. Parmi ceux qui partagent des rôles communs figurent le Dr Massé, le Dr Litvak et le Dr Raynault. Leur rôle est celui de la surveillance et de l'analyse épidémiologique. Le Dr Litvak introduit un système de paliers d'alerte nationaux. Ils s'appuient sur la modélisation fournie par l'INSPQ et l'INESS pour déterminer les niveaux d'alerte dans une région donnée. Un comité de coordination est formé avec 18 directeurs de santé publique de la province et l'INSPQ avec un focus sur la COVID. Ils commencent à se rencontrer quotidiennement. Des discussions ont lieu concernant les mesures de santé publique. Une liaison constante avec l'INSPQ est maintenue dans le cadre de laquelle leur rôle est centré sur la surveillance, les études et tests en laboratoire, la coordination et l’analyse.
D'autres discussions ont lieu sur la perception de « l'acceptabilité des mesures » parmi le grand public.
Une liaison constante est également maintenue avec l'INESS, un établissement public québécois de santé spécialisé en santé publique et en technologie médicale, ainsi qu'en interventions. L'INSPQ obtient les avis de l'INESS. L’INSPQ demande à l’INESS de fournir en temps réel une analyse détaillée des hospitalisations, des comorbidités et de la capacité du système de santé liées à la COVID-19. Ils sont aidés par des médecins de l’Université McGill et de l’Université de Laval. Ils assurent la modélisation pour l'INSPQ.
(Note de l'auteur : L'ensemble de l'examen du Dr Massé à ce stade semble avoir pour objectif d'établir sa crédibilité en tant qu'expert participant, de définir son rôle lors de la crise de la COVID-19 au moment où le couvre-feu a été invoqué et de déterminer la portée de son implication.)
L'INESS emploie le Dr Brisson et une équipe indépendante de scientifiques. Le groupe analyse la sévérité des mesures de santé publique.
MODÈLE DE FROMAGE SUISSE
Le Dr Massé présente le « modèle du fromage suisse » de santé publique (approche à plusieurs niveaux). Il témoigne concernant les méthodes de contrôle de la transmission. La stratégie consiste à ajouter des mesures par couches dans le but d’atténuer et/ou de supprimer la transmission.
Le Dr Massé discute des différences entre les responsabilités collectives et individuelles. Il suggère qu’une série de mesures soient d’abord adoptées avant de porter atteinte aux libertés civiles avec des mesures plus intrusives comme le confinement.
Les procureurs du gouvernement demandent au Dr Massé quelles considérations sont invoquées pour justifier le recours à un couvre-feu. Le Dr Massé répond que des considérations telles que la situation épidémiologique, l'état du système de santé et le respect général des mesures déjà en place sont toutes analysées. Il explique qu’un couvre-feu est l’une des dernières et des plus intrusives mesures de santé publique disponibles avant un confinement complet.
Les procureurs du gouvernement demandent au Dr Massé quelles étaient les connaissances de l'INSPQ sur la COVID-19 en décembre 2020. Le Dr Massé répond que l'INSPQ savait que le virus se transmettait de personne à personne avec une plus grande fréquence que la grippe. Il précise que le R0 (facteur de transmissibilité) de la grippe est compris entre 1,3 et 1,5 alors qu'avec le COVID-19 à ce stade de la pandémie, le R0 était compris entre 2,3 et 2,5 (souche originale de Wuhan).
À la fin de 2020 et au début de 2021, le Dr Massé déclare qu’un nouveau variant de la COVID-19, le variant Alpha, était apparu au Royaume-Uni et que sa transmission était surveillée au Québec. À cette époque, ils savaient, selon le Dr Massé, que la transmission présymptomatique était possible jusqu'à deux jours avant l'apparition des symptômes visibles. À cette époque, ils savaient que le virus pouvait se transmettre via des gouttelettes aéroportées de taille moyenne et par aérosol.
Le Dr Massé témoigne ensuite concernant les effets de la contagion sur la population. Il affirme que, pour la population générale qui n'est pas considérée comme vulnérable, les symptômes typiques de contagion sont la toux, la fièvre, la détresse respiratoire et les impacts occasionnels sur d'autres organes. Il ajoute que le risque de complications plus graves pour les personnes immunodéprimées est bien plus élevé.
Le Dr Massé poursuit son témoignage en évoquant le bilan des morts de la COVID-19 au Québec. Il déclare qu’en janvier 2021, la province avait enregistré un total de 10 000 décès.
(Note de l’auteur : il n’est pas demandé au Dr Richard Massé de préciser si ces décès étaient le résultat direct ou indirect de l’infection à la COVID-19.)
Le Dr Massé affirme que le variant Alpha émergente échappe à l’immunité contre une infection antérieure et est plus transmissible que la souche originale de Wuhan (comme le suggèrent les données du Royaume-Uni). Il détaille ensuite la chronologie des événements pandémiques à la fin de 2020 et au début de 2021. Il déclare qu'il y avait environ 3 000 cas quotidiens à la fin décembre 2020, environ 165 hospitalisations quotidiennes et 153 décès quotidiens au plus fort de la pandémie, la soi-disant « deuxième vague ». Le 6 janvier serait le pic des nouveaux cas quotidiens et des hospitalisations.
Le 14 décembre 2020 débute le premier programme de vaccination contre la COVID-19 en CHSLD et RPA. La vaccination de l’ensemble de la population est présentée comme une voie de sortie de la pandémie.
Les procureurs du gouvernement demandent ainsi que le Dr Massé discute au sujet des mesures qui étaient en place à l'automne 2020. Le Dr Massé répond que des mandats de port du masque étaient en place, qu'un système d'alerte régional avait été mis en place à ce stade et que des recommandations visant à imposer des amendes pour les violations des mesures sanitaires ont également été adressées au gouvernement. D'autres mesures ont été mises en œuvre pour restreindre les rassemblements en fonction des niveaux d'alerte. Il décrit cette période comme un « crescendo de mesures » avec plusieurs couches de fromage. Il décrit ensuite les zones rouges de la province où sont installés des points de contrôle policiers. Il existe une restriction sur les voyages interrégionaux. La santé publique demande aux policiers d'intervenir de manière ciblée.
(Note de l'auteur : Tandis que le Dr Massé témoigne que l'INSPQ et l'appareil de santé publique du Québec étaient responsables de recommander l'ensemble des mesures de santé publique liées à la COVID-19, ses collègues ont témoigné sous serment dans un procès distinct démontrant exactement le contraire – qu'aucune mesure n'a été recommandée par la santé publique et que le gouvernement elle-même était seule responsable.)
Le Dr Massé poursuit en témoignant concernant la proportion de patients hospitalisés pour la COVID-19 qui souffraient de comorbidités. Il précise que 20 % des cas présentaient des comorbidités. À ce stade de la pandémie, le groupe d’âge 18-69 ans était surreprésenté dans les nouveaux cas comparé à la moyenne, surtout dans la grande région de Montréal. Il note une tendance, à l’aide d’une modélisation mathématique, à une forte augmentation des cas susceptibles de submerger le système de santé.
Le Dr Massé précise qu'à cette époque, les admissions à l'hôpital étaient déterminées par le nombre de lits disponibles désignés. Il précise en outre que certaines admissions ont été refusées en fonction de leur degré d'urgence.
Les procureurs du gouvernement poursuivent leur interrogatoire du Dr Massé en orientant leurs questions vers la situation épidémiologique de la région de l'Abitibi-Témiscamingue. Le Dr Massé témoigne que la situation de la première semaine de janvier 2021 était stable. Il y a eu en moyenne 45 cas en fin décembre 2020, mais ce nombre a atteint un pic de plus de 160 cas au cours de la première semaine de janvier 2021. Il relie ces cas à des éclosions spécifiques résultant de rassemblements pendant les vacances.
Les procureurs du gouvernement poursuivent en interrogeant le Dr Massé sur le seuil jugé approprié pour invoquer un couvre-feu dans la région et si les données scientifiques de l'époque atteignaient ce seuil. Le Dr Massé estime qu’ils n’avaient qu’une connaissance partielle de l’efficacité des couvre-feux dans un contexte d’urgence sanitaire. Lui et son équipe se sont appuyés sur les rapports sur les interventions non pharmaceutiques (NPI) fournis par l'OMS et le CDC européen. Ces organismes ont procédé à une évaluation de toutes les mesures possibles. Le couvre-feu a été considéré comme une mesure non éprouvée.
Le 8 janvier 2021, les responsables de la santé publique ont analysé une étude publiée en France et incluse dans un bulletin de surveillance européen. Le Dr Massé précise également s'être appuyé sur une deuxième étude publiée dans Nature en décembre 2020, sur le comportement humain. L'étude portait sur la science du comportement.
À cette même date, les responsables de la santé publique demandent une collaboration intense avec le gouvernement et les autres instances institutionnelles. Ils considèrent que la grande région de Montréal est en état d'urgence. Ils ont décidé d’invoquer le couvre-feu comme moyen « d’envoyer un message clair » à la population, constatant un manque de respect des mesures déjà en place. Il poursuit en citant un sondage mené qui concluait que 68 % des Québécois étaient favorables à l'instauration d'un couvre-feu.
Les procureurs du gouvernement demandent au Dr Massé pourquoi il a imposé un couvre-feu en Abitibi et pas seulement dans la grande région de Montréal où la situation était urgente. Le Dr Massé répond que les cas augmentaient progressivement dans la région avant Noël et qu'il ne faut pas un grand nombre de nouveaux cas en Abitibi pour causer de gros problèmes. Il précise en outre que l'Abitibi était une région de référence en termes d'hospitalisations pour le reste de la province. Ainsi, les patients de la région qui ne peuvent être traités localement sont envoyés à Montréal pour y être soignés. Il témoigne encore une fois que la santé publique devait envoyer un message fort et uniforme à la population qui ne créerait ni confusion ni ambiguïté.
CONTRE-INTERROGATOIRE PAR L'AVOCAT DE LA DÉFENSE, OLIVIER SÉGUIN
Olivier Séguin, avocat de la défenderesse, débute son contre-interrogatoire du Dr Richard Massé en établissant la manière dont a été élaboré le cadre moderne de la Loi sur la santé publique au Québec. Il mentionne comment, en 2001, le ministre de la Santé de l'époque, Rémy Trudel, a élaboré la nouvelle loi. Il est précisé que l’article 128 de la LSP n’a jamais été utilisé. Le témoin et Séguin détaillent l'histoire de l'élaboration de la Loi moderne en commençant par ses racines historiques dans la Loi sur la sécurité civile (CSC). Séguin se demande si l’autorité appropriée pour invoquer un couvre-feu est la Santé publique ou la Sécurité publique. Il fait référence à la Loi sur la sécurité civile, qui avait compétence dans des matières similaires avant l'introduction de la Loi sur la santé publique en 2001.
La LSP est introduite le 14 juin 2001, alors que l'ancienne Loi sur la sécurité civile est considérée comme inadéquate. D'autres discussions tournent autour de la coordination des différents ministères, du pouvoir de réquisitionner l'aide et le soutien d'autres ministères, comme celui de la sécurité, pour des raisons de santé publique.
Séguin demande au Dr Massé quelle est la différence entre une pandémie et une épidémie. Le Dr Massé répond qu'une pandémie touche plusieurs pays alors qu'une épidémie est populationnelle (à l'intérieur des limites de notre propre territoire).
Séguin fournit la définition des deux termes telle que définie par le Dictionnaire Druide. Une discussion sur les définitions s'ensuit alors que le Dr Massé s'exprime. Il estime qu'il ne base pas nécessairement ses connaissances sur les définitions fournies par les dictionnaires de base, mais plutôt sur des manuels médicaux plus complexes.
Le témoin et l'avocat continuent de discuter de la protection de la santé publique. Le Dr Massé témoigne qu'il existe des mesures individuelles et collectives en santé publique pour atténuer la propagation des maladies infectieuses. La discussion se concentre ensuite autour de la Loi sur la protection de la santé publique (LPSP).
Le Dr Massé estime que la LSP est plus large et plus globale que l'ancienne LPSP qui remonte à 1972. La LSP moderne se concentre davantage sur les facteurs déterminants de la santé.
L’échange qui s’ensuit se concentre autour des juridictions gouvernementales. L'article 54 de la LSP dispose que le ministre de la Santé est conseiller du gouvernement. L'article 2 de la LSP précise que certains pouvoirs sont conférés au MSSS et à la Santé publique. L’article 123 de la LSP précise que tel est le cas lors d’une urgence sanitaire.
Le Dr Massé commente maintenant le modèle du fromage suisse. Il fait une fois de plus référence aux mesures de santé publique individuelles versus collectives.
Séguin demande au Dr Massé si la soi-disant guerre contre la désinformation pourrait être considérée comme une couche de fromage dans le modèle du fromage suisse.
Vers la fin de son témoignage, le Dr Massé suggère qu’un couvre-feu était l’une des dernières mesures de santé publique disponibles pour ralentir la propagation de maladies infectieuses comme la COVID-19. Il a en outre déclaré qu'il n'était pas nécessairement favorable au recours à toutes les mesures de santé publique disponibles, citant spécifiquement la vaccination obligatoire comme une mesure inacceptable, à son avis. La Juge Beaulieu pose demande à Séguin pourquoi il ne pose pas la question au Dr. Massé à savoir pourquoi il est contre la vaccination obligatoire. Il soutient que la vaccination obligatoire porte atteinte à l’intégrité de la personne, et il défendra fermement cette conviction jusqu’à sa mort.
L'interrogatoire du témoin est terminé.
Les avocats de la défense informent le juge Beaulieu qu'ils ont besoin de temps pour modifier leur plan d'argumentation et leur requête en raison de faits découverts lors des témoignages de plusieurs témoins.
JOUR 3 – mercredi 20 septembre 2023
9h30 – L'avocat de la défenderesse, Samuel Bachand, présente un Projet de requête amendé à la suite des faits révélés lors des témoignages, notamment à l'égard de deux témoins clés, Massé et Arruda. Il revendique le droit de modifier la requête de la défense.
Bachand demande au tribunal d'autoriser les modifications basées sur la découverte que certaines délégations de pouvoirs ne relevaient pas des objectifs de santé publique. Il fait valoir que le décret du couvre-feu dépassait les limites de l’autorité accordée par la LSP. Il soutient en outre que le test Oakes n'a pas été satisfait en termes de lien rationnel entre la mesure et son objectif, ni en termes de proportionnalité. Il affirme en outre que les manifestations pacifiques ont été directement ciblées par le gouvernement et les autorités.
Bachand affirme ensuite que le couvre-feu viole l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Compte tenu des preuves nouvellement découvertes qui modifient sensiblement les arguments qu'il a l'intention de présenter, Bachand demande au tribunal de régulariser la situation en autorisant des arguments modifiés qui reflètent les nouvelles preuves.
Le procureur du gouvernement François Lamalice répond en déclarant que les avocats de la défense ne respectent pas le cadre de leur propre Avis de question constitutionnelle (Avis 76) et de l'article 77 du Code de procédure civile (CPC). Il affirme être maintenant confronté à plusieurs « surprises » inattendues, telles que le retrait de témoignages et de preuves, le retrait d'un rapport d'expertise fourni par le Dr Patrick Provost et la libération du témoin Éric Litvak. Il mentionne en outre qu'ils ne s'attendaient pas à ce que les policiers témoins soient appelés à témoigner pour des motifs fondés sur la Charte et non sur les faits allégués de la situation. Il soutient que le cadre du débat devra être respecté et exige qu'aucune autre surprise ne soit acceptée par le tribunal une fois que toutes les preuves auront été soumises.
Les procureurs du gouvernement affirment qu’ils ne savent pas où va la défense et qu’ils ont besoin de temps pour ajuster leur stratégie. Ils demandent si des preuves supplémentaires seront présentées. Ils demandent ensuite à la Cour d'exiger de la défense qu'elle identifie correctement ses arguments.
Samuel Bachand répond : Il n'y a pas de surprises et pas de préjudices. Il n’y a aucune raison de céder du terrain aux procureurs du gouvernement. La base théorique de leur cas reste inchangée.
La juge Beaulieu passe en revue les changements anticipés apportés par la défense et les deux parties détaillent ce qui sera ajouté et ce qui sera retiré de la procédure. Les procureurs du gouvernement demandent aux avocats de la défense de bien souligner les passages de leurs pièces justificatives et cahier de preuves, conformément aux règles de bonne pratique.
Les plaidoiries sont prévues à 9h30, le jeudi 21 septembre.
JOUR 4 – Jeudi 21 septembre 2023
PLAIDOIRIES
Olivier Séguin, avocat de la défenderesse, ouvre sa plaidoirie avec un récit anecdotique sur son voyage depuis Montréal vers l’Abitibi. Il partage avec la cour comment il a remarqué un grand nombre de sans-abri autour des stations de métro de Montréal, comme Atwater. Il note que les gens dehors étaient généralement heureux et souriants. Il cite Dostoïevski : « Tout le monde a besoin d’être quelque part ».
Il décrit ensuite sa réaction à la déclaration de pandémie en Chine au début de la saga COVID-19. Il suggère qu’en très peu de temps, nous avons perdu notre cadre d’analyse dans une société libre et démocratique.
Il suggère que, tant que la pandémie était toujours en cours, il était difficile pour le pouvoir judiciaire de prendre position sur les mesures gouvernementales. Mais maintenant, avec la pandémie et toutes les mesures de santé publique associées derrière nous, il est temps pour les tribunaux de reprendre leur pouvoir sans gêne.
Séguin présente les articles 1 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés (CCDL) et leurs racines dans des principes de Common law qui remontent à 1982. Il soutient que le couvre-feu frôlait de très près un état de détention. Les contrevenants pourraient être arbitrairement détenus par l’État. Il suggère que respecter la loi n’équivaut pas toujours à agir moralement. La loi, selon Séguin, a ses limites puisqu'il s'agit d'objets inanimés. Les lois ne doivent pas avoir de volonté mais seulement des intentions.
Séguin poursuit en introduisant l'article 123, alinéa 8 de la LSP. Il laisse entendre à la cour que le Dr Massé n’avait pas à conférer des pouvoirs extraordinaires en temps de pandémie. Il suggère que le rôle de la LSP se limite aux épidémies. Il poursuit en affirmant qu'il est inexplicable qu'un couvre-feu ait été déclaré au niveau national (provincial). Il cite plusieurs exemples d'abus d'autorité s'apparentant à l'invocation du couvre-feu comme mesure de santé publique. Il soutient que personne ne peut dire : « La loi c’est moi ».
Séguin continue de plaider que la Loi sur les mesures d'urgence n'a jamais été invoquée pour des raisons de santé publique. Ce serait la première fois que le test Oakes serait utilisé pour évaluer sa légitimité. Il cite la Defence of the Realm Act (Royaume-Uni) et la War Measures Act au Canada. Il expose l'histoire de l'utilisation de ces lois de 1920, 1947, puis 1970 au Québec avec la crise d'Octobre. En 1988, une nouvelle loi est introduite, la nouvelle Loi sur les mesures d’urgence en temps de paix.
Séguin plaide qu'en 1970, alors que la crise d'Octobre battait son plein, un journaliste a demandé au premier ministre de l'époque, Pierre Elliot-Trudeau, jusqu'où il serait prêt à aller (pour réprimer la crise), ce à quoi Trudeau a répondu : « Regardez-moi faire » (Just watch me). Séguin suggère que cela est très révélateur des dangers du pouvoir arbitraire.
Séguin poursuit en expliquant que la plupart des Canadiens connaissent la Charte canadienne des droits et libertés, mais que très peu connaissent la Loi sur la santé publique (LSP). Ce n’est pas une loi largement connue du public.
Il demande au tribunal de rendre un jugement en droit. Il explique que l’État profond, le soi-disant Deep State, révèle d’un gouvernement permanent (ndlr : Séguin fait référence à un État administratif permanent qui fonctionnait à travers une pléthore de départements bureaucratiques) qui s’est développé au cours des 20 dernières années, et qui gère désormais les crises. Ils déterminent souvent leurs plans d’action sur la base de sondages d’opinion publique. Séguin soutient qu'il s'agit d'une erreur profonde et que les garanties juridiques n'ont rien à voir avec les sondages.
Séguin poursuit en décrivant les atteintes aux libertés individuelles. Il propose que la Charte protège les libertés individuelles, ou les droits singuliers. Il situe cela dans le contexte du témoignage antérieur du Dr Massé dans lequel il décrit avoir discuté avec des policiers des méthodes possibles qu’ils pourraient utiliser pour limiter les rassemblements privés. Le Dr Massé a suggéré que les policiers devraient éviter de pénétrer dans les résidences privées. En tant que tel, le couvre-feu est devenu une solution de contournement qui aboutirait au même objectif. Séguin plaide qu'on n'est pas libre à l'intérieur de notre domicile si on a pas le droit d’aller à l’extérieur.
Séguin plaide que le décret (2-2021) ne repose sur aucune règle de droit normale. Il suggère que la présomption selon laquelle l'article 123, paragraphe 8 de la LSP est constitutionnel est problématique. Ici, nous avons un gouvernement qui invoque un décret avec une mesure arbitraire. Dès lors qu’on sort du cadre d’une société libre et démocratique, on ne peut plus débattre ni circonscrire la mesure. Nous nous retrouvons dans une subjectivité totale et nous devons nous poser la question : jusqu'où peut-on aller ?
Séguin réintroduit l'interface entre deux lois distinctes, la LSP et la LSC. La LSP, affirme-t-il, ne s’applique pas aux pandémies et la LSP ne s’occupe pas de la LSC.
État d'urgence nationale : Séguin décrit comment le couvre-feu a été décrété le 8 janvier 2021, selon un mode prédéterminé en durée et applicable à tous. C’était une déclaration qui envoyait un signal d’autorité pour exercer une mesure de contrôle. Même si les fins peuvent être légitimes, les moyens vont à l’encontre de l’esprit d’une société libre et démocratique. Les gens ont le droit de prendre des risques. Mais dans ce cas-ci, le gouvernement était allé plus loin qu'il ne l'avait jamais fait depuis l'introduction de nos Chartes. Un dangereux précédent a été créé.
SAMUEL BACHAND, AVOCAT DE LA DÉFENDERESSE, PLAIDIT (10h25)
Selon le test Oakes « Le pivot de l’argument est de tenir le gouvernement à l’objet de la loi qui a été utilisée. »
Le point crucial de l’argument, selon le critère d’Oakes, est de contraindre le gouvernement à respecter l’objet de la loi qu’il a utilisée. Bachand soutient que le gouvernement a largement outrepassé l’autorité de la loi. La LSP n’était pas le véhicule juridique approprié et sa portée était limitée aux épidémies. À l’inverse, la LSC a donné au gouvernement le pouvoir de gérer des sinistres majeurs telles que les pandémies.
Bachand continue de soutenir que les autorités de santé publique étaient subordonnées aux autres juridictions. La LSP n’était pas le bon instrument pour invoquer une urgence nationale.
Test Oakes : « La bombe nucléaire ne figure pas dans l’arsenal de la LSP. » Dans ce cas, le couvre-feu n’est pas une mesure de santé publique.
LSC – Loi sur la sécurité civile – Bachand fait référence à une conférence de presse de mars 2020, où il soutient que le Dr Arruda n’avait aucun incitatif de choisir ses mots concernant la mesure de couvre-feu. De l’avis d’Arruda à l’époque, la mesure semblait farfelue dans le contexte de la santé publique. Selon le Dr Arruda, ce n’est pas quelque chose qui est utilisé en santé publique. Il s’agit plutôt d’une mesure utilisée en temps de guerre ou de loi martiale, mais pas dans le domaine de la santé publique et qui ne relève pas de la compétence de la LSP.
Selon le témoignage du Dr Arruda, le couvre-feu, selon Bachand, était un outil de communication. Bachand qualifie cela de « propagande de bonne foi ». Comme cela a été souvent répété, la mesure visait à « envoyer un message clair à la population ». Selon le témoignage du Dr Massé, il s’agissait d’une mesure de contrôle social à caractère communicatif et non de santé publique.
Bachand réintroduit le modèle du fromage suisse et le qualifie de croche conceptuellement. Il s’agit, selon Bachand, d’un modèle développé par des communicateurs et qui ressemble à une illustration destinée aux enfants. Bachand soutient que le modèle n'est rien d'autre qu'un outil de communication et que ce n'est pas le travail de la santé publique de transmettre ce type d'information.
Bachand plaide que l’objectif de la mesure de couvre-feu échappe à la compétence de la LSP. Il continue de plaider en faveur de la liberté d'expression et des manifestations pacifiques. Il cite C.S. Villeneuve dans la jurisprudence. Le convoi de protestation de la défenderesse est protégé par les articles 2a et 2b de la Charte canadienne des droits et libertés et les autorités ont délibérément violé ces droits. La manifestation était spécifiquement ciblée par les autorités, affirme Bachand. La manifestation ne représentait pas une menace spécifique pour la santé publique mais servait plutôt à défier l’autorité.
Bachand cite les articles 7 de la Charte canadienne et l'article 1 de la Charte québécoise des droits et libertés. Il situe son analyse dans le cadre du critère Oakes en citant l'article 9.1 de la Charte québécoise. Conformément à l'article 7 de la Charte canadienne, la vie, la liberté et la sécurité de la personne signifient qu'une personne a le droit de disposer de son corps comme elle l'entend. C'est une garantie juridique. La mesure de couvre-feu est ancrée dans la pénologie. Bachand fait référence à l'article 742 du Code civil. Il plaide que des mesures alternatives étaient plus appropriées et que le couvre-feu constitue une violation de l'article 7 de la Charte. Sa portée est par nature excessive. La santé publique a invoqué le couvre-feu comme une mesure complémentaire ancrée dans le contrôle. Il ciblait les jeunes, particulièrement les jeunes récalcitrants. Pourtant, les témoins ont omis de préciser quel pourcentage de la population était récalcitrant.
Bachand poursuit ses arguments sur le test Oakes. Il fait valoir que l'objectif devait être urgent et réel et qu'il n'existait aucun lien rationnel entre l'objectif et la mesure, conformément à la LSP. Bachand cite le témoignage du Dr Massé concernant des alternatives moins agressives.
Bachand invoque le manque de proportionnalité selon le test Oakes. Dans ce cas, il fait valoir que la mesure a été utilisée en dehors du champ de compétence de la LSP. La présomption de légalité de la mesure créer un renversement de la pyramide (ou la hiérarchie) des normes judiciaires. La Santé publique a invoqué ces mesures. Le couvre-feu a placé tout le monde dans un état qui s’approche à une détention. Il a donné à la police des pouvoirs sans précédent pour détenir des citoyens sans soupçon d'actes illégales. Bachand soutient que les gens n’ont pas à justifier leur présence à l’extérieur. La LSP a été utilisé comme un expédient qui chamboule la vie des gens. Cela a conduit à plusieurs problèmes de société, notamment la violence conjugale, la dépression, la consommation de drogues et d'alcool, ainsi que d'autres problèmes connus. Comme l'a témoigné l’accusée, Stéphanie Pépin, cette mesure a provoqué des difficultés familiales et relationnelles et le sentiment de malaise d'être enfermée dans une cage. Cela représente un préjudice institutionnel.
Fin des plaidoiries de la défense.
François Lamalice, procureur du gouvernement, débute ses plaidoiries :
(Note de l’auteur : Les plaidoiries de François Lamalice sont de nature technique et procédurale. Elles ressemblaient davantage à un exercice consistant à passer au peigne fin les détails de la requête réamendée de la défense.)
Lamalice réitère que l'affaire doit être limité dans le cadre de l'Avis de question constitutionnelle (Avis 76, 77, C.P.C.). Il soutient ensuite que le couvre-feu a été invoqué par décret exécutif et bénéficie d'une présomption de validité. Il expose la nature procédurale de la mesure car elle est ancrée dans le droit administratif et non dans le droit constitutionnel.
Lamalice réfute ensuite les allégations de la défense sur la distinction entre épidémie et pandémie telles qu’elles sont considérées par la loi. Lamalice soutient que la LSP est adaptée pour faire face aux urgences sanitaires. Il cite le Dr Massé qui a déclaré qu'il existe une coordination entre les organismes gouvernementaux et les ministères. Le décret de couvre-feu a été adopté par le gouvernement selon les pouvoirs accordés par la LSP.
Lamalice cite l'article 3 de la LSC. Une pandémie est un sinistre majeur. L’article 2(1) nuance la notion en ajoutant, notamment … la pandémie.
Lamalice cite l’arrêt Bricka comme jurisprudence.
(Avis de l'auteur : L’arrêt Bricka est l’arrêt le plus cité par les procureurs du gouvernement dans les contestations judiciaires liées au COVID. Ses conclusions et théories frisent, de l'humble avis de cet auteur, les fondements de l'autoritarisme. Il soutient essentiellement que le gouvernement est en son pouvoir de faire pratiquement n'importe quoi qu’il en juge bon en période d'urgence sanitaire, pour autant que les actions soient entreprises de bonne foi. Cela suggère en outre que les tribunaux n'ont pas à réévaluer la légitimité des mesures prises en période d'urgence et qu'une grande déférence doit être accordée au législateur. Lamalice fait valoir ce point dans ses plaidoiries.)
Lamalice poursuit son plaidoyer en élaborant un cadre global pour toutes les manières possibles de limiter ou d'abréger les libertés fondamentales.
(Note de l’auteur : cela soulève la question : les libertés sont-elles toujours des libertés si elles ne sont pas absolues ? Si les gouvernements peuvent restreindre les libertés pour toute justification qu’ils jugent appropriée, sont-elles toujours des libertés ?)
Lamalice soutient que les violations alléguées des droits garantis par la Charte, tels que la liberté d'expression, n'échappaient pas aux considérations de l'article 1. Il soutient que les manifestations pacifiques n'étaient pas spécifiquement ciblées comme le prétend la défense.
(Note de l’auteur : les deux policiers participant à l’affaire ont déclaré officiellement qu’ils ciblaient spécifiquement les manifestations et l’avaient fait en surveillant à l’avance les publications sur les réseaux sociaux.)
Lamalice fait valoir que plusieurs exceptions au décret portant sur le couvre-feu ont été prévues.
(Note de l’auteur : le décret ne prévoyait pas d’exception pour les sans-abris et les forces de l’ordre ont été vues donner des contraventions aux sans-abri.)
Lamalice cite une affaire antérieure qui invoquait le concept juridique de l'Habeas Corpus. Selon lui, le couvre-feu avait ses limites.
En termes de proportionnalité, Lamalice soutient qu'il n'y a eu aucune violation des droits garantis par la Charte dans le cadre de l'article 1.
Lien rationnel : La violation était insuffisante selon Lamalice.
Objectifs : Selon Lamalice, le couvre-feu avait plus d'un seul objectif et respectait le cadre juridique élaboré par la Cour suprême. L’objectif peut être difficile à cibler mais, dans ce cas, la fin justifie les moyens.
Lamalice qualifie cette mesure de traitement par électrochocs ayant pour objectif de protéger un système de santé fragile. Il réitère que son objectif premier était d'envoyer un message à la population pour protéger la santé publique.
Fin des plaidoiries de François Lamalice.
13h45 – La procureure du gouvernement, Marie-France Lebel, débute sa plaidoirie.
Lebel ouvre son plaidoyer par une analyse du critère Oakes. Elle soutient que les violations des droits garantis par la Charte étaient justifiées en vertu des articles 1 et 9.1 de la Charte canadienne. Elle plaide que la menace pour la santé publique était réelle et imminente et que la réponse était raisonnable, rationnellement liée à ses objectifs et proportionnée.
Lebel continue d’affirmer que le décret était une mesure de santé publique bien mesurée et efficace. Elle soutient que la pandémie était exceptionnelle, urgente et évolutive. Elle affirme que, de ce fait, l’exigence de justifier de telles mesures est différente de la normale.
Lebel cite la Motor Vehicle Act (1985).
Lebel continue d'argumenter le contexte de la LSP, les articles 123 et 118. Elle plaide que la menace pour la santé publique était grave et que les mesures en réponse étaient nécessaires mais néanmoins limitées. Elle cite l'article 122 de la LSP suggérant que l'Assemblée législative avait le droit de désaveu de l'adoption de mesures mais ne l'a pas invoqué.
Lebel plaide que les mesures ont été adaptées en fonction de la progression de la pandémie et de sa gravité en termes de conséquences, soit les décès, les hospitalisations, la capacité du système de santé et le manque d'outils (comme la vaccination) pour en ralentir les impacts.
Elle argumente que les mesures déjà en place étaient inefficaces ou inadéquates pour atteindre les objectifs de santé publique. Elle plaide que les autorités de santé publique ont fondé leurs décisions sur leur expérience antérieure et sur leurs connaissances, mais qu'elles étaient confrontées à des contraintes de temps pour agir. Lebel argumente alors sur la base du principe de précaution en santé publique. Les atteintes doivent être minimales mais une grande déférence doit être accordée au gouvernement en termes de choix de mesures. Elle cite l'affaire Trinity Bible Chapel c. Ontario comme jurisprudence.
Lebel plaide alors que le couvre-feu était de nature temporaire. Ses objectifs étaient complémentaires d’autres mesures déjà en place pour réduire les contacts.
(Note de l'auteur : Le procureur du gouvernement François Lamalice a admis dans son témoignage que le couvre-feu aurait un impact minime sur la population puisque la plupart des gens sont déjà chez eux entre 20h et 5h et que les restaurants et les bars étant déjà fermés, ils n'avaient vraiment aucune raison de sortir. Cet auteur se demande comment la mesure pourrait être considérée comme efficace si, de l'aveu même du gouvernement, son impact était minime. Outre l'envoi d'un message clair, comme cela a été répété à plusieurs reprises, la mesure n'avait aucun fondement juridique, logique ou raisonnable.)
Lebel poursuit son analyse du test Oakes en suggérant que le couvre-feu avait des objectifs importants. Elle plaide que cela a permis d’établir le caractère urgent de la menace pour la santé publique en termes de nombre de cas, d’hospitalisations et de décès. Elle décrit ensuite la situation épidémiologique telle qu’elle a évolué en décembre 2020 et janvier 2021. Elle cite les statistiques gouvernementales sur les cas, les hospitalisations et les décès. Dans son analyse, elle admet à plusieurs reprises que la situation était bien plus alarmante à Montréal et dans la Grande région de Montréal. Elle ne fait pas ici référence à la situation particulière de l'Abitibi.
Lebel soutient que l'Abitibi-Témiscamingue est une zone de référence pour Montréal. Ainsi, la situation à Montréal a un impact indirect sur la région puisque la capacité de Montréal à accueillir des patients de l’Abitibi dépend de sa capacité globale en soins de santé.
Fin des plaidoiries.
14h50 – Commentaires et contre-interrogatoire
Après avoir réservé du temps pour les commentaires, Bachand revient pour réfuter les arguments allégués par les procureurs du gouvernement. Il commence par réfuter le point soulevé par Lebel à propos de la jurisprudence qu'elle cite et qui invoque le principe de précaution et la déférence qui doit être accordée au gouvernement dans le choix des mesures. Bachand soutient que ces choix ont été faits par le gouvernement et non par le législateur. Ce sont les actions du gouvernement qui sont en cause.
Proportionnalité : Bachand soutient que les dommages résultant des mesures ont été mal encadrés. Les dommages subis par l’accusée, comme la détention arbitraire, ont touché toute la province. Il s’agit là d’une conséquence directe de la mesure, telle qu’elle est envisagée par l’article 7 de la Charte.
FIN DES PLAIDOYERS ET DE LA PROCÉDURE
Une décision sera rendue par l'honorable juge Beaulieu le 30 janvier 2024, à 14h00 HNE, à Amos, Québec.